Aux États-Unis, le monde agricole est inquiet, alors que le bras de fer commercial entre Washington et Pékin continue. Une guerre qui fait directement souffrir les fermiers, au point de les rendre de plus en plus critiques envers le président des États-Unis. Reportage dans le Minnesota.

Epis de maïs lors de la State Fair du Minnesota, en août 2019
Epis de maïs lors de la State Fair du Minnesota, en août 2019 © Radio France / Grégory Philipps

Bienvenue à la State Fair, la grande foire agricole du Minnesota qui tous les ans à Minneapolis attire deux millions de visiteurs. Mais l’ambiance festive et musicale cache mal l’inquiétude des fermiers américains. Il y a encore cinq ans, bien avant la décision de Donald Trump d'imposer de nouveaux droits de douane de 15% sur un peu plus de 110 milliards d’importations chinoises, les États-Unis exportaient vers la Chine près de 25 milliards de dollars de produits agricoles. L’an passé, ce chiffre est tombé à 9 milliards, et chaque mois les volumes ne cessent de diminuer.

"Nous sommes des dommages collatéraux dans cette affaire", constate Gary Wertish, président du syndicat des agriculteurs du Minnesota. "Tout le monde est d’accord pour dire que la Chine vole les brevets de propriété intellectuelle, dans l’agriculture ou de l’industrie. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il fallait faire quelque chose. Mais c’était une énorme erreur du Président Trump de vouloir s’attaquer seul aux Chinois. C’est une coalition de pays qui aurait dû s’en occuper. Aujourd’hui, le Président des États-Unis est, comme à la boxe, coincé dans un coin du ring, et il ne sait pas comment s’en sortir. Franchement, nous les fermiers, on commence à en avoir marre de l’entendre nous dire qu’on gagne en ce moment, alors qu’on perd. Il nous explique : 'Vous êtes des patriotes !' Mais cet argument ne me sert à rien lorsque je me trouve face à mon banquier, et qu’il me demande de rembourser mes crédits…"

Stand de la Farmers' Union, à la State Fair du Minnesota fin août 2019
Stand de la Farmers' Union, à la State Fair du Minnesota fin août 2019 © Radio France / Grégory Philipps

"Nous avons besoin du commerce international"

À une heure au nord de Minneapolis, l’exploitation familiale de Brad Hovel. Toute la famille travaille ici. La ferme a été créée il y a un demi-siècle par le père de Brad. Cette exploitation produit essentiellement du blé et du soja, qui depuis juillet dernier est taxé à 25% par les chinois : "Dans un monde idéal, on adorerait vendre nos porcs, nos bœufs, nos volailles à l’export", explique Brad Hovel. "Parce que cela crée des emplois ici aux États-Unis. Nous, les fermiers américains, avons investi beaucoup de temps et de notre argent pour conquérir le marché chinois. À l’époque, c’était formidable ! Ils avaient beaucoup d’animaux à nourrir, on leur vendait notre soja, eux n’arrivaient pas à produire assez pour tout leur bétail. Ici en Amérique nous savons produire beaucoup et plus que nécessaire. Donc nous avons besoin du commerce international."

Brian Hovel et son fils Reagan, dans leur ferme de Cannon Falls au nord de Minneapolis
Brian Hovel et son fils Reagan, dans leur ferme de Cannon Falls au nord de Minneapolis © Radio France / Grégory Philipps

La frustration chez les fermiers du Minnesota (plutôt républicains d’habitude) commence à monter. À la fin de l’été, Donald Trump a envoyé sur place son secrétaire à l’Agriculture, Sonny Perdue, pour tenter de calmer les esprits. Et surtout, l’administration a débloqué une aide d’urgence de 28 milliards de dollars destinée aux exploitants agricoles. Mais Brian Thalmann, qui représente les producteurs de maïs du Minnesota est sceptique : "Évidemment, les subventions sont appréciées. Presque tout le monde ici vous dira qu’on préfère tirer nos revenus de la vente de nos produits, plutôt que des aides gouvernementales. Mais bon… Si cela permet à certains fermiers de survivre jusqu’à l’année prochaine, alors nous n’avons pas le choix. Il faut accepter, prendre l’argent, et aller de l’avant."

"La Chine est déjà en train de signer des contrats avec le Brésil"

En un an, aux États-Unis, le nombre de fermes en faillite a bondi de 13%. Et pour le président des agriculteurs du Minnesota Gary Wertish, ces difficultés ne sont malheureusement pas passagères : "Même si demain le Président Trump et la Chine trouvaient un accord, nous n’arriverons jamais à reconquérir le marché chinois. Ils sont déjà en train de signer des contrats avec le Brésil. Et les Brésiliens libèrent des terres pour planter encore plus de soja. Peut-être qu’on reprendra un peu de ce marché, mais pas comme avant. Les agriculteurs américains sont vraiment dans une situation difficile."

State Fair du Minnesota, en août 2019
State Fair du Minnesota, en août 2019 © Radio France / Grégory Philipps

Donald Trump sait qu’il a intérêt à entendre et à soigner ces fermiers du Minnesota, du Nebraska ou du Wisconsin, à quatorze mois maintenant de la prochaine présidentielle.

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  • Grégory PhilippsGrand reporter, envoyé spécial permanent de Radio France à Washington
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